jeudi 19 décembre 2019

La traversée du massif du Psiloritis

Vendredi 6 décembre. Virginia nous propose de rester gratuitement une journée de plus dans sa magnifique maison -ce qui est tentant- mais nous prenons la décision d’aller au cœur des hautes montagnes crétoises. La météo annonce en effet trois jours de beau temps, c’est une occasion à ne pas manquer.
Comme c’est le cas à chaque fois que nous disposons d’une cuisine, nous préparons quelques repas d’avance, ce qui nous permet de gagner un peu de temps lorsque le camp est installé.
Nous nous baladons dans Magarikari, un village qui ne voit pas beaucoup de touristes. Les portes des maisons, donnant souvent directement sur la rue, sont ouvertes. Les intérieurs sont modestement meublés avec parfois une seule pièce, faisant office de salon, de chambre et de cuisine. La vie se passe principalement dehors. Les anciens se retrouvent au café, quelques femmes bavardent devant le mini-market, les marchands ambulants, qui s’annoncent au mégaphone, proposent ce qui manque, les pick-up, chargés de sacs d’olives, vont et viennent, et nous, nous sommes les heureux spectateurs de cette vie de village.


Samedi 7. C’est le départ pour les montagnes. Comme prévu, le soleil est radieux. 1200 m d+ sont au programme. A Gergeri, et après quelques bosses, nous sommes au pied de la route qui constitue le plat de résistance de l’étape. On compte 17 virages en épingles. Des panoramas à couper le souffle et sans doute quelques suées nous attendent. Pendant que nous avalons notre casse-croûte, les nuages envahissent la montagne. Ce n’est pas vraiment ce qui était au programme. Monter là-haut ou contourner le massif ? Il faut prendre une décision, avec le risque que le mauvais temps vienne gâcher la fête. Anatole n’est pas très chaud, Lison est à fond car elle « aime l’aventure ».
Cela fait 3 contre 1, alors c’est parti, on monte. Après trois ou quatre virages, nous voilà dans les nuages. Nous sortons les chambres à air de traction pour rouler ensemble et ne pas se perdre de vue. Sans visibilité, on a psychologiquement l’impression que ça ne monte pas. L’ascension se fait finalement en bien moins de temps que nous l’avions pensé. Nous nous arrêtons là où la route devient piste. La nébulosité se fait moins dense, on aperçoit parfois quelques coins de ciel bleu. Nous sommes à 1 300 m d’altitude sur un site à l’abandon qui accueille un théâtre de plein air. Nous nous installons sur scène, au pied de l’amphithéâtre. Dans un paysage aussi minéral, nous n’avons pas de mal à trouver quelques belles pierres qui arriment solidement la tente. Même si les températures sont loin d’être glaciales, le feu des enfants nous réchauffe et nous sèche. Le ciel se dégage, les étoiles apparaissent, la lune nous éclaire. Pas un bruit, juste le crépitement du feu. Nous ne sommes que quatre à assister au spectacle…



Dimanche 8. Nous traversons le massif montagneux entouré des plus hauts sommets de l’île, dont le mont Psiloritis, 2 456 m. La piste est magnifique. En balcon, elle monte progressivement jusqu’à 1600 m d’altitude. La météo est changeante : soleil, brouillard, crachin et vent alternent ou cohabitent. Pas de quoi entamer notre moral. C’est si bon de sentir les éléments, c’est si bon de se sentir vivants sur ces pistes, sur ces routes uniques, dans un tel décor.




Après avoir aperçu la mer de Lybie, côté sud de l’île le matin, la descente nous offre désormais des vues sur la mer de Crète, côté nord de l’île.
Nous retrouvons la civilisation à Anogia et nous finissons la journée à Zoniana, deux villages où nous sommes étonnés de voir des gamins d’une douzaine d’années au volant d’énormes pick-up et tout un tas de types à la tête plutôt patibulaire…
Nous nous installons dans un cul de sac, sur le parking des grottes Zoniana, fermées en cette saison. Deux gamins de huit ou dix ans viennent nous contrarier : ils tournent autour de la tente, tapent dans les sardines, font mine de vouloir chaparder on ne sait quoi, tentent d’embêter les enfants que nous sommes obligés de rapatrier dans la tente, jettent des cailloux sur les vélos et nous parlent sur un ton provocateur. Ces petits cons n’ont pas froid aux yeux. En grec, en anglais, nous leur demandons d’arrêter. Après plusieurs requêtes et beaucoup de patience, les nerfs lâchent. Je me mets à leur hurler dessus, à leur courir après en les menaçant d’un bâton destiné à calmer les chiens agressifs qui viendraient nous taquiner d’un peu trop près. Les gamins déguerpissent. Ils pleurent. Celui qui est le plus proche de moi se pisse dessus. Je préfère les chiens.
Evidemment le père de l’un des gosses rapplique quelques instants plus tard. Heureusement, nos explications lui suffisent et il repart.
Nous ne sommes cependant pas très sereins. L’obscurité nous empêche désormais de partir.
La soirée et la nuit qui suivent sont un cauchemar. Sommes-nous dans un village de fous, sont-ce des représailles ou bien des trafiquants ? Les téléphones sont prêts à appeler la police. Des dizaines de voitures viennent faire demi-tour devant notre tente, certaines passent tous phares allumés à quelques centimètres de nous. D’autres s’arrêtent. Les portières claquent, les coffres s’ouvrent, des types discutent.
Il faut attendre deux heures du matin pour que ce cirque cesse.
Lundi 9. Le soleil pointe son nez. Nous sommes épuisés mais nous n’avons jamais été aussi contents de nous lever. Aujourd’hui est un autre jour et nous filons jusqu’à Alfa, petit village sur les hauteurs de Réthymnon où nous avons loué une petite maison après notre escapade en montagne. En chemin, nous rencontrons une adorable dame qui nous donne un grand tupperware de foies de volailles cuisinés dont les enfants se régalent.


A Alfa, Antonia et Manoli nous accueillent à bras ouverts. Mais avant même de déballer nos sacoches, nous fonçons rentrer le code wifi sur l’ordinateur : outre les déconvenues et anecdotes racontées par certains touristes, on trouve sur internet un reportage de la BBC où l’on apprend qu’à Zoniana (et dans ses environs), des paysans ont détourné il y a quelques années l’argent de l’Europe pour planter du cannabis. Leurs modèles sont les cartels colombiens et la mafia italienne. Ils font régner leur loi et la police ne met quasiment plus les pieds sur ce petit territoire de trafiquants et de malfrats, où drogue et armes se vendent aux nez et à la barbe des autorités…
De mardi 10 à samedi 14. La météo n’est pas terrible et nous décidons de rester à Alfa. Antonia et Manoli sont aux petits soins, ils nous gâtent : huile d’olive, vin, raki, liqueurs, gâteaux, fruits et légumes du jardin, tout est fait maison, nous sommes presque en demi-pension.
Entre deux averses et parfois un bon déluge (bienvenus car il n’a pas plu depuis l’hiver dernier), nous sortons les vélos pour visiter les alentours.
Ernesto est un petit chien noir qui traîne dans le village. Il nous accompagnera à chaque sortie. Les enfants l’appelleront Filou. Il fera plus de 60 km à nos côtés, il se fera chasser du monastère d’Arkadi entraînant les pleurs d’Anatole, il manquera de se faire écraser, il courra après des dizaines de chats, des centaines de chèvres ou de brebis, il amusera les enfants, il partagera notre pain. Tout cycliste a une histoire de chien à raconter. Il y en a parfois de sympas.
Quand nous sommes à la maison, nous descendons au rez-de-chaussée, où Evangelina, 92 ans, tient sa petite épicerie ouverte en 1960 et toujours dans son jus. Sur les quelques rayonnages on ne trouve pas grand-chose, sinon la raison de vivre de cette grand-mère.
Nous discutons avec Manoli. Autour d'un verre de raki, et grâce à google translate, il a toujours quelque chose à raconter. 
Nous ne remercierons jamais assez cette famille pour leur chaleureux accueil et ces quelques jours passés chez eux.


De dimanche 15 à mercredi 18. Nous reprenons la route pour Kissamos, petite ville située au nord-ouest de l’île où nous avons loué pour les fêtes un grand appartement.
Nous traversons Réthymnon et La Canée, les plus grandes villes de l’île après Héraklion où l’on trouve enfin une boîte pour y poster la lettre au Père Noël. Nous reconnaissons les touristes à leurs tee-shirts et les Crétois à leurs manteaux.
Nous faisons trois campings sauvages qui nous font oublier notre récente déconvenue. L’un près d’une petite église échafaudée avec vue sur les cimes enneigées, l’autre en bord de mer et le dernier chez Leonidas que nous rencontrons le long de la route. Son terrain est plutôt boueux, humide et pas particulièrement plat, mais nous passons une super soirée, autour d’un feu, installés sur des chaises en plastique, au milieu de bidons, de palettes et de tout un tas de bazar. Leonidas nous apporte un gros sac d’oranges. Quand nous lui demandons ce qu’il fait, il nous dit être prof d’économie. Cela ne nous convainc pas complètement.
DSK aussi était prof d’économie…



Jeudi 19. Nous voilà à Kissamos, installés dans un bel appartement pour deux semaines. Patrick et Mamine doivent nous rejoindre dans la nuit. Au programme : randonnées, balades, baignade, cuisine, repas et repos.

Bonnes fêtes de fin d'année à tous ! Joyeux Noël !

5 commentaires:

  1. Froid dans le dos... L'essentiel c'est que vous ayez réussi à rebondir! Gageons que ce sera votre dernière mésaventure pour ce périple ♥ Gros bisous et à bientôt, Tobias

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  2. J'éspère que ce sera votre dernière mésaventure au sein de votre voyage, mais vous vous en êtes bien sortis... ça ma fais froid dans le dos quand j'ai lus l'article avec mon père.
    Grosses bises a Lison et a Anatole, Gabrielle

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  3. Oh mais quelle histoire! Tout est bien qui fini bien, ouf!
    Et pour le reste... whaouu ÉNORMES ces paysages et ces accueils.
    Je suis avec Thérèse et Henri pour cette lecture, ils vous embrassent et pensent bien à vous.
    Profitez bien de Mamine et Patrick dans ce grand appartement. Gris bisous les amis

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  4. Bizette à vous et joyeux Noël...
    Yann, Franca et Elsa

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  5. Quelle année 2019 !!
    Combien de kms ?
    Vous nous avez fait rêver...
    Continuez. Nous vous souhaitons une très bonne année 2020, encore des rencontres et le plein d'histoires à nous raconter à votre retour
    Anne et Hervé

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