mardi 25 février 2020

Rhodes (suite)

Dimanche 16 février. 
Le beau temps est revenu. Nous disons au revoir à Michaela et sa maman qui sont venues nous apporter des petits gâteaux pour notre départ.
La population se concentre particulièrement au nord de l’île. En prenant la direction du sud de Rhodes par l’intérieur des terres et les montagnes, nous nous retrouvons quasiment seuls sur les routes parfois non asphaltées qui relient les petits villages.
A l’écart des sentiers battus, nous empruntons une piste qui fait le tour du lac de Gadoura. Un panneau met en garde les conducteurs, qui s’y engagent à leurs risques et périls. Le lac est le réservoir d’eau potable de l’île. Les abords se doivent sans doute de rester hostiles pour décourager un afflux humain au potentiel de nuisance certain, capable de souiller et de perturber la quiétude de n’importe quel sanctuaire naturel. Regorgeant d’une faune et d’une flore rare, le lac ne figure même pas sur les cartes touristiques qu’on a pu dégoter à Rhodes.
Les dernières précipitations (60 mm en deux jours) rendent notre progression difficile. La piste, orniérée et creusée par l’eau qui trace son chemin, est par endroit un vrai pot de colle. Nos garde-boues n’ont jamais aussi bien porté leur nom et nos vélos viennent s’alourdir d’une couche de terre mouillée qui va jusqu’à bloquer nos roues. Les séances de décrottage rendent notre progression poussive mais plutôt amusante.
Nous plantons la tente au bord du lac : aucune habitation en vue, aucun bruit, juste le chant des oiseaux… Les enfants improvisent un atelier silex et taille de pierres.



Lundi 17. 
Le tonnerre nous fait craindre une journée pluvieuse mais le soleil revient vite et nous reprenons avec plaisir la piste de la veille. Nous atteignons l’asphalte avant un petit col qui nous entraîne ensuite jusque sur la côte.
Nous nous arrêtons à Lindos, petit village touristique (mais traditionnel) aux maisons blanches dominé par un château.
Les rues sont incroyablement étroites. Désertées depuis l’automne dernier, elles sont aussi incroyablement calmes. Seuls résonnent des cris venant de la cour de l’école qui nous rappelle celle de Vergisson… Nous arrivons à nous extraire du petit centre labyrinthique pour aller nous nicher au pied de la forteresse surplombant la mer.
Avec les pigments des minéraux et végétaux trouvés sur place, les enfants improvisent ce soir-là un atelier peinture.




Mardi 18. Dans cette zone côtière du sud-est de l’île se concentre un grand nombre de complexes touristiques. Comme partout en Grèce, une partie non négligeable des constructions n’est pas achevée, inhabitée et souvent à l’abandon depuis bien longtemps. Le gâchis de millions de tonnes de béton coulées pour rien nous choque à chaque fois. De qui, de quoi vient cette gabegie ? Le plan d’occupation des sols parait complètement anarchique. Les abords des constructions ressemblent le plus souvent à des champs de bataille jonchés de déchets et clairsemés de monticules de terre, de gravas végétalisés. Comble de l’absurde, nous longeons des complexes touristiques déments où chaque appartement, même en étage, a sa piscine. Non-sens écologique, non-sens social... Pourquoi avoir envie de venir s’entasser par milliers au même endroit pour vouloir se retrouver seul dans sa piscine, à quelques mètres de la mer ? Pour nous, c’est un mystère… et un signe de plus de la folie d’une société qui marche à grand pas vers la planche savonnée qui l’entraînera dans le vide.
Alors nous sommes contents de retrouver l’intérieur des terres, de nous installer dans une petite clairière, près d’une rivière.



Mercredi 19.
Nous n’avons pas encore vu de cerf, l’animal emblématique de Rhodes, mais, croisant notre chemin, nous nous sommes retrouvés plusieurs fois face à des biches. Cette fois nous avons la chance d’en observer plusieurs dizaines, à découvert, le long de notre route.



Jeudi 20. 
Nous sommes désormais proche de la côte ouest. Encore en montagne, la route est belle, zigzaguant le long de gorges, au milieu des forêts de pins, avec des parties en balcon donnant tantôt des vues sur les sommets, tantôt sur les îles du Dodécanèse. A midi, nous arrivons au niveau de la mer pour un pique-nique sur la plage. Nous repartons ensuite à la recherche d’un terrain plat et bien drainé pour passer une nuit qui s’annonce pluvieuse.


Vendredi 21. 
Après un sommeil perturbé par un crapaud venu nous faire un petit coucou et quelques crottes, nous attendons la fin des intempéries et le séchage complet de la tente pour repartir. Cela évite d’avoir à la ressortir plus tard. Ce matin, nous avons le temps car nous n’avons qu’une vingtaine de kilomètres à faire pour atteindre Koskinou, où un petit décrassement nous attend après six jours sans douche. Nous prenons possession d’une petite maison traditionnelle avec ses couchages en hauteur et son sol couvert de cailloux dessinant des motifs.
Nous nous retrouvons là où nous aurions dû être à notre arrivée à Rhodes si notre bateau n’avait pas été annulé. Zuzana, la propriétaire, nous permet là de récupérer gracieusement les trois nuits que nous avions perdues lorsque nous étions restés bloqués à Santorin.

Samedi 22, dimanche 23.
Nous préparons la suite du voyage, nous nous baladons dans Koskinou et, comme à chaque fois que nous disposons d’un four, nous faisons des gâteaux dans le moule que nous trimbalons depuis l’Albanie. En bonus, un petit plaisir exceptionnel : nous prenons le temps de regarder les dernières courses du championnat du monde de biathlon et le match de rugby Pays de Galles - France ! Ça change du vélo !


Lundi 24. 
Nous quittons la jolie maison de Zuzana dans laquelle nous avons passé un beau weekend de repos.
Nous avons rendez-vous en fin de matinée sur un stade d’athlétisme avec Vasiliki, professeure de français, sa fille et huit collégiens de 14 ans. Un programme ERASMUS permet à ces élèves apprenant le français de faire un échange avec un collège de Normandie et de travailler sur un projet concernant les jeux olympiques. Pour notre venue, Vasiliki et les élèves ont préparé un entretien portant sur l’aventure, le voyage, le sport et l’enfance. Ils ont bien bossé et ils ont plein de questions à nous poser. Lison et Anatole, un peu intimidés au début, se prêtent au jeu : ils répondent, montrent, expliquent !
En début d’après-midi nous retrouvons Rhodes et la maison de Théodore qui nous avait déjà accueillis lors de notre arrivée sur l’île.


Mardi 25. 
Rebelote. Nous avons cette fois-ci rendez-vous dans une école privée qui compte environ 500 élèves, de la maternelle au lycée. Meni, professeure de Français nous accueille et nous fait visiter l’établissement. Nous sommes impressionnés par les installations (sportives notamment car l’école a sa propre piscine de 25 mètres) et les équipements.
A 11 heures, nous accueillons 52 collégiens dans une salle de conférence.
Même devant cet auditoire bien garni, et comme la veille, les enfants assurent et répondent aux questions.
Par ces réponses, par notre discours, par la présentation de notre mode de vie, de notre façon de voyager, nous espérons avoir donner envie à ces jeunes de sortir de chez eux, de se rapprocher de la nature, d’aller la découvrir. Sans connaissance de la nature, sans proximité avec elle, comment être sensible aux enjeux écologiques, aux enjeux climatiques, aux défis que l’humanité doit relever pour tenter d’éviter le pire ?


De retour « à la maison », Théodore, qui a demandé aux enfants s’ils aimaient le chocolat, court à la pâtisserie nous acheter un magnifique et délicieux gâteau ! Dans ce monde qui souvent ne tourne pas rond, nous sommes heureux de ces rencontres. Les attentions des gens, leur gentillesse, les échanges que nous avons avec eux nous donnent de l’énergie, sans doute plus que nos platées de pâtes !


La Crête, Naxos, Santorin, Rhodes : les îles ont quelque chose de rassurant car on y a des points de repères, des habitudes, des contacts, des connaissances que l’on retrouve. Mais finalement on s’y sent peut-être un peu coincés, perdant un peu de l’esprit d’un voyage itinérant. Alors, le printemps approchant, il est désormais temps d’entrer en Turquie. Demain nous serons en Asie mineure…

samedi 15 février 2020

Rhodes

Vendredi 7 février.
Nous devons partir pour Rhodes demain, dans la nuit. Dehors il pleut et le vent souffle encore fort. Nous craignons une deuxième annulation. La perspective de devoir rester coincés à Santorin encore plusieurs jours ne nous ravit pas, alors quand nous apprenons que notre bateau est confirmé, c’est le soulagement.

Samedi 8.
Lever 2 heures du matin. Il nous faut rejoindre le port, à 12 km, en affrontant un beau vent de face. Mais rouler en pleine nuit, quand la vie est endormie, quand la lune est lumineuse, reste toujours aussi agréable. Les enfants adorent. A cinq heures le bateau repart, avec déjà trois quart d’heure de retard.
Avec deux bouts de nuit à passer à bord, nous avons réservé une cabine. Cela s’avèrera une bonne idée...
La traversée est épique, la mer se rebelle. Les vagues submergent la proue, certaines viennent se fracasser sur les vitres du pont salon situé au sixième étage d’un bateau de 140 m… Au bar, les bouteilles versent. Les passagers vomissent les uns après les autres, Lison n’y échappe pas. Anatole semble plus avoir le pied marin. Le spectacle l’amuse puis l’impressionne, avant de le terroriser. Le bateau craque. On se demande à quoi ressemble la soute… Les camions, les voitures, nos vélos ? Le roulis rend quasiment impossible tout déplacement. Nous ne sommes bien qu’allongés.

Dimanche 9.
Avec cinq heures de retard, nous arrivons à Rhodes. Il est six heures du matin et nous avons hâte d’aller nous coucher sur le plancher des vaches. 
Nous nous réveillons en fin de matinée, avec encore le tournis. Nous partons prendre l’air et découvrir la cité médiévale de Rhodes. On distingue clairement les sommets enneigés de la chaîne du Taurus : les côtes turques nous tendent les bras.
En balade, nous croisons Christophe et Pascale, un couple de Français rencontrés sur le bateau. Ils voyagent en tandem depuis quatre ans, après avoir quitté leur travail et tout vendu. Comme nous, ils ont encore un peu la gueule de bois. Nous arpentons ensemble les rues et ruelles de la ville quasi désertes et nous finissons l’après-midi par un petit goûter « chez nous ».


Lundi 10.
Nous prenons la direction de la rue des Chevaliers, le long de laquelle se trouvent les auberges des langues qui hébergeaient les chevaliers de passage sur le chemin des croisades. Nous sommes reçus à l’auberge de France par Madame Moschis Gauguet, consule de France, qui nous a mis en relation avec une école dans laquelle nous irons faire une présentation de notre voyage auprès d’élèves apprenant le français. Dans le grand bureau, les enfants sont impressionnés par les livres, les œuvres d’art et les photos des présidents. Nous avons un peu trainé. Il nous reste une bonne trentaine de kilomètres à faire pour joindre le petit village de Psinthos. En sortant des zones urbanisées, en prenant de la hauteur, nous découvrons une végétation méditerranéenne et les senteurs qui vont avec.



Du mardi 11 au jeudi 13.
Nous restons dans l’appartement de Michaela qui nous a proposé de rester le temps que nous voulions. Nous en profitons pour randonner, à pied, et nous partons à vélo sillonner les forêts de pins. Sentir des arbres au-dessus de nos têtes, entendre les oiseaux chanter, apercevoir du gibier : à Rhodes nous retrouvons des sensations oubliées.



Vendredi 14, samedi 15.
Deux jours de fortes pluies, nous restons à l’abri… Vivement demain.