Lundi
7 octobre. Au départ de Durrës
, nous longeons l’autoroute. Même si les Albanais
nous la recommandent, même si on y trouve des vélos, des auto-stoppeurs
, des
charrettes, des vendeurs de fruits et légumes et des piétons, nous essayons de
l’éviter. Ce n’est pas chose aisée, ça demande une navigation fine et quelques
détours.
La
journée est marquée par les échanges que nous avons avec de jeunes Albanais
toujours enclins à venir nous saluer, à vouloir nous aider ou à nous
questionner. A midi, alors que nous pique-niquons sur un banc, ce sont cinq
jeunes collégiens qui viennent longuement parler avec nous. Un gamin vient
ensuite nous apporter deux bouteilles d’eau et nous invite à venir nous
installer dans le bar de son papa, de l’autre côté de la rue. Il nous offre le
café.
Le
soir, alors que nous nous engouffrons sur une piste à la sortie d’un village
pour chercher un endroit où dormir, c’est Denis et son copain qui nous
accompagnent un bout de chemin, jusqu’à nous indiquer une parcelle plantée
d’oliviers. Ils nous regardent monter la tente. Ce sont ensuite une dizaine
d’ados qui arrivent, curieux mais timides et plein de questions. Les adultes,
allant ou rentrant des champs, s’arrêtent également pour nous saluer. Une tente
plantée là au milieu, ça ne choque personne. Jeunes ou moins jeunes semblent
honorés et peut-être fiers que nous ayons choisi leur village pour passer la
nuit. Nous sommes un peu fatigués et tous finissent heureusement par partir. Une
fois la nuit tombée six d’entre eux reviennent avec un sac plein de tomates, de
grenades et de gâteaux…
Mardi 8. Il a plu quelques gouttes
dans la nuit. Nous découvrons un beau ciel bleu en ouvrant la tente. Nous
apercevons également le vieux berger muet, chahuté et moqué la veille par les ados, entouré de
ses brebis, caché derrière un arbre, d’où il nous fait coucou. Il s’approche
petit à petit et tente de nous subtiliser une paire de lunettes de soleil. Il veut
ensuite nous l’acheter. Au moment du petit-déjeuner, nous nous apercevrons qu’il
a dérobé notre poubelle ainsi que notre éponge de voyage (spécialement tricotée
par Jacqueline). Par quelques gestes et plusieurs onomatopées, il nous indique
qu’il a faim. Nous lui faisons une tartine de confiture de figue qu’il a le
plus grand mal à manger en raison de son unique dent. C’est ensuite une bergère
et son troupeau de dindons (spécialité de la région) qui vient nous saluer. Enfin
Denis apparaît, venu nous dire au revoir. Ces touristes installés sur le
terrain de son père, c’est un bon prétexte pour sécher les cours…
Nous partons, le berger gaga aux
trousses. Il court comme un dératé, pousse des cris, voulant s’assurer que nous
prenons la bonne piste. Nous entendons pétarader derrière nous… C’est Denis !…
sur une mobylette déglinguée… toujours pas décidé à aller en cours. Il
nous devance et nous conduit jusqu’à la route asphaltée.
Avec ses montagnes, ses collines,
ses oliviers et la chaleur, la région de Lushnjë a un petit air d’Andalousie. En
route Lison et Anatole se remémorent la scène du matin, rigolent et jouent au papy pickpocket. Nous continuons à
nous enfoncer dans les terres jusqu’à Berat, la ville aux mille fenêtres,
classée au patrimoine mondial de l’Unesco.
Mercredi 9. Journée sans vélo. Nous
visitons Berat et la forteresse avant de nous accorder une après-midi de repos.
Les enfants jouent avec Kristel, la fille des propriétaires de notre location.
Les rires, les cris et les gestes remplacent les mots. Pas facile ensuite de
coucher tout ce petit monde.
Jeudi 10, vendredi 11. La routine !
Des gens sympas, des routes quasi désertes, des paysages de toute beauté, bref
le rêve de tout cyclo voyageur. Nous remontons la rivière Osumi et son canyon,
avant d’entamer une montée infernale et 25 km de piste. La descente aura raison
d’une conserve de tomate pilonnée par ses copines, éventrée au fond de la
sacoche.
Nous sommes sans mots devant ces
montagnes, devant ces minuscules villages accrochés aux pentes. On se dit qu’un
jour prochain ces routes seront asphaltées, que des touristes viendront en
nombre profiter de ces espaces naturels exceptionnels. Ce sera tant mieux pour
l’économie albanaise, tant pis pour les cyclistes en quête de tranquillité.
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Samedi 12. Après les Alpes dinariques, nous sommes désormais
dans l’Épire, région administrative grecque, mais qui historiquement est
une région montagneuse des Balkans, partagée entre la Grèce et l’Albanie. Depuis Permët, emmurée de chaque côté
par ces montagnes majestueuses, nous roulons jusqu’à la frontière. Nous sommes seuls,
tellement seuls que nous pique-niquons sur la route, à l’ombre d’un arbre. Les
postes frontières albanais et grecs sont déserts, ils paraissent
surdimensionnés. Les douaniers, sortis de leur ennui, sont avenants, souriants
et le passage se fait en quelques minutes. Nous plantons la tente dans une
épingle à cheveux, face à un beau sommet d’où nous voyons jaillir la lune.
Dimanche 13. Après une étape
éprouvante, où il a fallu plonger tout au fond des gorges de Vikos, nous
remontons jusqu’à Papigko, petit village en pierres avec ses maisons aux toits
de lauzes.
Nous laissons vélos et sacoches dans
notre gîte pour deux jours de randonnée. Nous passerons la prochaine nuit en
refuge, à 2 000 m d’altitude. Nous retournerons ensuite sur la côte albanaise
pour nous accorder une petite semaine de repos et fêter l’anniversaire de Lison.
On ne peut pas quitter l’Albanie comme ça.